Lassane Congo, chorégraphe et enseignant  : « Les talents émanant de la jeunesse actuelle…contribuent à placer le Burkina Faso comme le berceau de la danse contemporaine en Afrique »

Article : Lassane Congo, chorégraphe et enseignant  : « Les talents émanant de la jeunesse actuelle…contribuent à placer le Burkina Faso comme le berceau de la danse contemporaine en Afrique »
Crédit: Amb's photography
24 décembre 2023

Lassane Congo, chorégraphe et enseignant  : « Les talents émanant de la jeunesse actuelle…contribuent à placer le Burkina Faso comme le berceau de la danse contemporaine en Afrique »

Entretien avec Lassane Congo, chorégraphe et enseignant au Centre de développement chorégraphique (CDC) La Termitière. Il joue un rôle essentiel en tant que formateur d’assistants culturels et encadreur de troupes, faisant de lui une figure incontournable du paysage chorégraphique au Burkina Faso. De plus, en tant que formateur, il a contribué à la formation de Salia Sanou et Serge Aimé Coulibaly, deux danseurs et chorégraphes éminents. Notre rencontre a eu lieu dans cadre de la 14e édition du festival Dialogue de Corps, où nous avons eu l’opportunité d’échanger.

Le festival chorégraphique international dialogues de corps est à sa 14e édition en 2023. Quel bilan faites-vous de toutes ces éditions ?

Le Festival dialogue de corps, qui célèbre ses 14 ans, a eu un impact significatif et inspiré plusieurs pays à mettre en place des festivals et à créer des écoles de danse. Cette influence s’étend au Mali avec la création d’écoles de danse, au Sénégal, au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Niger. Une véritable prise de conscience émerge. C’est un mouvement dynamique en Afrique. Cela me rappelle les mots de Nazi Boni dans « Les crépuscules des temps anciens » : une Afrique s’en va, et une nouvelle Afrique est en train de naître. J’ai foi en cette jeunesse africaine. Elle est puissante et créative, proposant quotidiennement des initiatives positives qui contribuent à l’évolution de notre art.

En quoi, la danse contemporaine ou un festival comme dialogue de Corps peut-il être une solution dans la gestion de la crise sécuritaire au Burkina Faso ?

Dans ce contexte sécuritaire contraignant, certains invités ont dû décliner leur participation au festival Dialogues de corps 2023. Malgré cela, des initiatives nationales se déploient. Récemment, j’ai soutenu l’équipe du Centre de Développement Chorégraphique (CDC) à Djibo, travaillant avec des réfugiés pour insuffler l’espoir et ramener une lueur de vie dans les camps. Lors de la 3e session, nous avons introduit quelques participants à la danse, qui serviront ensuite de passerelle pour transmettre cette expérience.

Il est essentiel de comprendre que le contemporain trouve ses racines dans le traditionnel. Chacun, en fonction de sa culture, peut proposer un schéma pour se rassembler. De plus, un accompagnement médiatique est nécessaire pour faire comprendre que notre intention n’est pas de rechercher le spectaculaire, comme beaucoup le pensent, mais de présenter une forme de poésie. La poésie peut toucher tout le monde, et c’est vers cela que nous devons tendre dans notre démarche. Nous avons mis en place des programmes où nous nous rendons dans les prisons pour offrir des spectacles, afin que cela ne soit pas perçu comme réservé à une élite.

Je préfère parler de création chorégraphique. Ce concept a été utilisé avec succès lors de la Semaine Nationale de la Culture (SNC), où la catégorie est désignée « création chorégraphique ». L’idée est de s’inspirer des valeurs traditionnelles pour créer des mouvements abstraits, proposer des thèmes et développer des chorégraphies. Actuellement, le contemporain est parfois perçu comme étranger, associé à une influence étrangère. Pour moi, toute danse, toute expression artistique, devrait être une poésie universelle, accessible à chacun, indépendamment de toute connotation culturelle.

Comment percevez-vous les créations chorégraphiques actuelles au Burkina Faso ?

Nous sommes sur la bonne voie, et en tant que pionnier, j’ai contribué à transmettre notre savoir à la nouvelle génération qui, aujourd’hui, excelle. Des groupes burkinabè parcourent le monde, offrant des spectacles de qualité. Certains sont aux États-Unis, en Europe, partout. La jeune génération offre des créations audacieuses et novatrices, osant explorer de nouvelles perspectives. La création artistique émane de l’expression du subconscient et de l’expérience personnelle, loin de l’imitation ou de la reproduction. Il est essentiel de laisser l’inspiration guider le processus, en mettant en avant son vécu pour rendre la création authentique. S’immerger dans l’univers de l’enfance, explorer les contes entendus, sont des sources magiques qui enrichissent notre démarche artistique. Lorsqu’on analyse le corps humain, on découvre une symétrie parfaite, une base idéale pour décomposer et créer des situations singulières. Le fondement de la création chorégraphique repose sur un thème, même abstrait. Les talents émanant de la jeunesse actuelle sont remarquables, et ils contribuent à placer le Burkina Faso comme le berceau de la danse contemporaine en Afrique. Il est important de reconnaître que cette influence ne se limite pas à notre pays, mais rayonne à l’échelle du continent africain.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se forment à la danse contemporaine au Burkina Faso. Pourtant ils n’existent pas un marché réel d’emploi.  Selon vous quelles sont les perspectives d’avenir pour ces jeunes ?

Effectivement, Serge Aimé Coulibaly a lancé une excellente initiative intitulée « Africa Simply the Best », encourageant les danseurs à présenter des solos. Un jury sélectionne les meilleures performances, les propulsant ensuite lors de tournées à l’étranger pendant 3 à 6 mois, offrant ainsi une vitrine internationale. C’est une démarche louable. D’un autre côté, Salia Sanou a formé son propre groupe, actuellement acclamé aux arènes, avec de nombreux danseurs du CDC en tournée en France. Cette approche vise à stimuler leur croissance et à les responsabiliser en entrant en contact avec d’autres artistes. Nous aspirons à promouvoir ce que nous possédons, notre identité. Il est crucial de partir de nos musiques, de nos instruments décomposés, afin de trouver l’atmosphère et la couleur qui s’harmonisent avec la création chorégraphique. L’objectif est de ne pas se limiter à rechercher des éléments sonores pour le simple bruit, mais de valoriser authentiquement notre patrimoine musical dans la conception des spectacles.

Qu’est ce qui peut expliquer le manque de public aux différents spectacles de créations chorégraphiques ?

La danse, c’est un peu comme le festival de la sortie des masques. Le public n’est pas massif, principalement constitué des villageois qui se connaissent et se réunissent. Les étrangers sont peu présents, même parmi les intellectuels locaux, rares sont ceux qui s’impliquent. En quelque sorte, nous refusons d’embrasser pleinement notre identité culturelle. Une barrière se crée entre nous et nos traditions, car certains estiment que leur niveau intellectuel et d’analyse est trop élevé pour s’intéresser à cela. Même si l’on pense que cela n’intéresse que les étrangers, il est crucial de comprendre que les étrangers sont aussi humains, et donc, cela devrait également nous intéresser. Certains considèrent même le bâtiment du CDC comme une initiative étrangère. Nous devons cultiver l’audience, comme le Carrefour International de Théâtre de Ouagadougou (CITO), qui maintient un programme d’un mois de spectacles, démarrant à l’heure indiquée, même s’il n’y a que 20 spectateurs. Par le bouche-à-oreille, les gens relayent l’information, et le public afflue.

Tout compte fait, Il est important d’apporter des améliorations nécessaires pour susciter une plus grande adhésion du public burkinabè. Une approche culturelle sera mise en place pour aller à la rencontre du public. C’est un défi que nous devons relever pour faire évoluer notre culture artistique locale.

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