Ousmane Guigma dit Manoos : « Les murs ont besoin d’entendre ce que nous disons à travers le graffiti »

Article : Ousmane Guigma dit Manoos : « Les murs ont besoin d’entendre ce que nous disons à travers le graffiti »
Crédit: La page Facebook du Festival Graff Saha
9 janvier 2024

Ousmane Guigma dit Manoos : « Les murs ont besoin d’entendre ce que nous disons à travers le graffiti »

Alors que la deuxième édition du festival Graff Saha se déroule du 16 au 20 janvier 2024 à Ouagadougou, Manoos, le visionnaire derrière cet événement artistique explore l’évolution du graffiti au Burkina Faso et son rôle essentiel de dans son développement.

Ousmane Guigma, connu sous le nom de Manoos a consacré plus de 15 années de sa vie à l’art du graffiti. Initiateur et coordonnateur du festival international de graffiti, Graff Saha, Manoos joue un rôle crucial dans la promotion de cet art urbain.  Il occupe le statut de membre et ambassadeur au sein du RBS crew, un collectif panafricain d’artistes graffeurs et designers basé à Dakar, au Sénégal. Lors d’un entretien à l’espace culturel Gambidi , il se prête à mes questions.

Comment êtes vous arrivé au métier de graffeur et quel est l’état des lieux cet art au Burkina Faso ?

Il y a eu un festival de hip hop dénommé  »Ouaga hip hop » depuis les années 2000 et qui a connu la participation de grands artistes américains, européens et Africains.  A un moment donné, Ouaga Hip Hop a élargi son horizon en offrant des cours de graffiti, d’écriture, de slam, de danse hip-hop et de DJ’ing. C’est là que j’ai entrepris ma formation en tant que graffeur. Mais, bien avant cette période, dès mes années d’école primaire, j’avais déjà une passion pour le dessin, un métier que j’ai toujours aspiré à exercer. À un certain point, j’ai décidé de quitter les bancs de l’école pour me consacrer pleinement à mon rêve d’enfance. Malheureusement, il n’y a pas d’école des beaux-arts.

Actuellement, nous ne sommes que deux à persévérer dans cette discipline depuis notre formation. Le métier de graffeur ne bénéficie pas d’un statut particulier. Lorsqu’on évoque un artiste peintre, cela englobe l’ensemble des formes artistiques, y compris le graffiti, qui, après tout, est une forme d’expression picturale. De la même manière qu’un artiste peint une œuvre et la déclare, le graffeur crée une composition, la photographie, puis procède à sa déclaration. En ce sens, les deux démarches sont similaires. Toutefois, il revient à nous, graffeurs, de promouvoir l’idée d’une reconnaissance officielle de notre métier. Certains graffeurs peuvent ne pas être considérés comme des artistes peintres, mais pour que le graffiti obtienne un statut particulier, il est impératif qu’il soit pleinement reconnu. Par exemple, au Sénégal et au Bénin, l’art du graffiti a connu une évolution significative, ce qui pourrait servir de modèle pour notre propre reconnaissance.

Quels sont les outils d’un graffeur professionnel ?

Lorsqu’on aborde le sujet du graffiti, l’association avec la peinture aérosol, également appelée bombe de peinture ou spray en anglais, ainsi que la peinture acrylique, est généralement automatique. Cependant, au-delà de ces éléments, il est important de souligner que le graffiti peut être réalisé avec une variété d’outils, y compris des pinceaux et des rouleaux, surtout en l’absence de peinture aérosol. Avec l’évolution de cette forme artistique, le graffiti peut désormais s’exprimer sur divers supports. Être graffeur nécessite avant tout une compétence en dessin. Une compréhension des bases du dessin est cruciale, étant donné que la majorité des graffitis impliquent des lettrages stylisés et cohérents. Ainsi, des connaissances préalables sont essentielles. Malheureusement, le graffiti n’est pas encore largement reconnu dans notre région. Souvent, lorsque les gens voient des graffitis sur un mur, la plupart pensent que cela a été réalisé par des artistes étrangers. Cette perception est souvent influencée par les représentations dans les films et les vidéos. Le graffiti demeure un métier empreint de mystère, la plupart des graffeurs s’adonnant à cette forme artistique par passion. Cependant, au-delà de cette passion, le graffiti offre des opportunités lucratives. Certains individus peuvent être intéressés par l’intégration du graffiti dans des espaces tels que des bars, des restaurants, des lieux culturels, voire sur des tee-shirts, des motos, et bien d’autres supports. Dans de nombreux cas, les graffeurs cherchent à diffuser leur signature artistique à travers le monde, contribuant ainsi à la renommée et à la reconnaissance de leur travail.

Pouvez-vous, nous parler du festival Graff Saha et de son objectif principal ?

« Graff » tire son origine du mot « graffiti », et « saha » trouve sa signification dans la langue Moaga, se traduisant par « moment » ou « période ». Ainsi, « Graff Saha » prend tout son sens en évoquant le « moment du graffiti ». Cette appellation reflète notre engagement profond envers l’art urbain et son évolution au fil du temps. Notre vision pour Graff Saha s’articule autour de la formation des jeunes dessinateurs et peintres véritablement passionnés par cet art. Nous aspirons à instaurer une dynamique de transmission des connaissances pour démocratiser le graffiti. En investissant dans des programmes de formation, nous nourrissons l’espoir que les éditions futures du festival révéleront un nombre croissant de graffeurs nationaux. Cette approche vise à stimuler et à populariser davantage l’art du graffiti, créant ainsi une communauté artistique nationale dynamique et épanouissante.

Le thème pour cette 2e édition c’est ‘’Les murs ont des oreilles’’. Quelle signification souhaitez-vous lui attribuer ?

Lorsque nous affirmons à travers le thème : « Les murs ont des oreilles », ce n’est pas que les murs écoutent ce qu’on dit, mais les murs ont besoin d’entendre ce que nous disons à travers le graffiti. Cela va au-delà de la simple idée que les murs écoutent nos paroles. En réalité, c’est une reconnaissance du fait que les murs aspirent à entendre ce que nous exprimons à travers le langage du graffiti. Le thème porte une profondeur symbolique, soulignant que les murs, initialement vierges et silencieux, ont besoin de recevoir nos messages artistiques. Cette approche s’inscrit dans une dimension philosophique, invitant chacun à interpréter le thème à sa manière. Nous croyons en la puissance de l’expression artistique pour donner une voix à notre environnement. L’objectif est de faire entendre aux murs les résonances de la situation actuelle de notre pays. Si le thème de l’édition précédente était axé sur la ‘résilience des communautés face au terrorisme’, cette année, nous avons choisi un thème plus vaste. Il englobe tous les aspects de la société contemporaine, mettant en lumière des valeurs essentielles telles que le pardon, la réconciliation et la paix. Cette démarche reflète une véritable prise de conscience de la part des jeunes Africains, contribuant ainsi à la construction d’une société plus éclairée et unie.

Quels sont les artistes et gaffeurs qui participent à cette édition du festival ?

Pour cette édition, notre réflexion s’est particulièrement portée sur l’Alliance des États du Sahel (AES). Nous sommes ravis de compter sur la participation d’un talentueux artiste nigérien du nom d’Eric, qui apportera sa vision unique à l’événement. De plus, nous aurons l’honneur de voir Chris représenter le Mali, ajoutant ainsi une dimension artistique diversifiée à notre festival. Dans la continuité de notre engagement envers la diversité culturelle, nous prévoyons également la participation d’un ou plusieurs artistes du Bénin. Parallèlement, des artistes locaux talentueux seront également présents pour enrichir cette rencontre artistique. Cette diversité d’artistes, représentant différentes régions et perspectives, promet une édition exceptionnelle du festival, où la richesse culturelle et artistique des États du Sahel sera célébrée.

Quelles les activités auxquelles que le public pourra participer cette année ?

Pour cette deuxième édition, une palette d’activités passionnantes est prévue. Nous avons organisé deux journées dédiées à des ateliers stimulants, deux jours dédiés à la création de fresques murales et de performances artistiques, et en apothéose, une soirée de clôture 100 % Hip Hop sous forme d’un concert. Cette dernière journée revêt une signification particulière, car le graffiti étant une discipline du Hip Hop, nous avons décidé d’incorporer du DJ’ing sur le site de la performance pour galvaniser les graffeurs avec des scratches et une ambiance musicale entraînante. Un espace spécifique, le village du festival, sera également mis en place. Durant toute la durée de l’événement, cet espace accueillera une exposition-vente, mettant en avant des marques de vêtements, des objets d’art, des gadgets, des sketchbooks et divers articles. En résumé, le festival se déploiera sur trois lieux distincts. Les deux premiers jours d’ateliers auront lieu du 16 au 17 janvier à African Initiative, une association russo-burkinabè située dans le quartier Bonheur Ville. Les jours suivants seront dédiés aux performances, avec la création de fresques murales sur le site de l’Agence pour la sécurité de la Navigation Aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) ,et le point d’orgue du festival, le concert de clôture, aura lieu à l’Espace Nouvelle Option, également à Bonheur Ville.

Avec une vision optimiste, notre ambition pour l’avenir est de voir le graffiti au Burkina Faso, en particulier notre festival, prendre une envergure considérable, ouvrant ainsi la voie à une délocalisation dans toutes les villes du pays. Nous envisageons également d’inviter des artistes américains, européens et d’éminents graffeurs renommés à participer et enrichir cet événement. L’idée est de faire du festival une plateforme d’échange et de célébration artistique à l’échelle nationale et internationale, favorisant ainsi le rayonnement du graffiti au Burkina Faso.

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