Zora snake : « On peut être un artiste sans nécessairement être un créateur »

Article : Zora snake : « On peut être un artiste sans nécessairement être un créateur »
Crédit: La page Facebook de Zora snake avec l'accord d'utilisation
17 janvier 2024

Zora snake : « On peut être un artiste sans nécessairement être un créateur »

Zora Snake, artiste polyvalent en tant que chorégraphe, performeur et concepteur artistique, est le fondateur du Festival Mouvement Danse et Performance (MODAPERF) au Cameroun. En plus de diriger sa propre compagnie, Zora Snake partage son expertise en tant que formateur. Récemment, il a animé un workshop sur la danse contemporaine à Ouagadougou, du 8 au 13 janvier 2024, sous le thème « Tensions globales et dynamisme de création en Afrique de l’Ouest. » À la suite de la restitution de son travail lors de cet atelier, j’ai eu l’opportunité d’engager une conversation enrichissante avec lui sur les aspects de son processus créatif.

Mission en tant que chorégraphe

C’est un workshop où la science et les arts s’invitent sur la même table pour réfléchir sur les questions de tension globale de dynamique.  L’idée a été de partager une autre forme de réflexions avec les artistes et les chercheurs pour développer des sous thèmes. Pour développer ces sous thème, Zora snake a été choisi comme chorégraphe représentant le Cameroun. Son intervention a portée sur la question de comment créer une œuvre d’art en s’inspirant des patrimoines culturels. « L’idée est de tirer parti de ce qui est commun au Cameroun et en Afrique pour créer des œuvres d’art contemporain, explorant ainsi la manière dont le passé peut inspirer les créations contemporaines » dit-il.

Il a également intervenu avec des réflexions concernant sa position en tant chorégraphe et comment à travers le travail composé, construit déjà par nos alleux continue à émerger et à inspirer nos créations et comment on peut composer des œuvres arts et d’ouvrir d’autres champs esthétique pour parler du politique. « En tant que chorégraphe, je souligne le caractère politique du corps, non pas dans le sens du pouvoir établi, mais plutôt comme une politique de la pensée »

Il a abordé la question de la construction d’une société à travers l’art et la culture. Il a approfondi les aspects liés aux songes, explorant comment ces rêves peuvent devenir des sources d’inspiration, comme la voix d’une grand-mère qui murmure des idées créatives. Aussi il a traité la dimension rituelle, en exposant ce qu’est le rituel sacré. Son travail s’inspire des patrimoines, constituant ainsi une manière de remettre en question la politique des événements qui ont entraîné ce que l’on appelle le choc culturel. Ce choc a conduit à une classification de nos cultures selon la pensée occidentale, non pas dans le domaine de l’art contemporain, mais plutôt dans celui de l’art archaïque.

« Cette notion d’archaïsme résonne profondément en moi. J’ai soulevé la manière dont cataloguer et étiqueter un peuple ou un continent peut générer des rencontres puissantes. Cela soulève la nécessité de replacer le patrimoine à sa juste place, en reconnaissant sa valeur intrinsèque en tant que riche héritage, plutôt que de le considérer uniquement à travers le prisme des pratiques occultes, une vision jugée barbare selon les standards occidentaux. Cette remise en question vise à rétablir l’équilibre et à réaffirmer la pertinence culturelle de nos héritages ».

Engagement des danseurs dans la cité

Le deuxième sous-thème a porté sur l’engagement des danseurs au sein de la société. Il s’interrogeait sur la manière dont les danseurs s’impliquent dans la cité. Dans une société où la danse est souvent associée à un contexte théâtral ou à une salle, il est impératif de la concevoir au-delà des murs conventionnels. Les intentions et les interventions des danseurs aujourd’hui sont influencées par des problématiques sociétales telles que l’écologie, la guerre, l’immigration, l’esclavage, la colonisation, et bien d’autres. « Il est essentiel de réfléchir à l’espace que l’on crée, en se questionnant sur ce qui inspire à choisir certains lieux et sur la raison de ne pas explorer d’autres horizons ».

Dans ce contexte, il est devenu un objectif de faire connaître la danse contemporaine dans des zones densément peuplées comme le Burkina Faso.  Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d’aller vers les gens, de développer la danse là où ils vivent. Cela pose un nouveau défi lié à la question des territoires. « pendant la restitution de cet atelier, j’ai dû négocier avec le chef du territoire, même s’il s’agissait simplement d’un endroit avec beaucoup de déchets. Cela souligne le fait que même un tas de déchets appartient à quelqu’un, à un territoire, et il est crucial de négocier et de faire comprendre la valeur de ce que l’on fait avant d’obtenir l’acceptation ».

« Pour moi, la proximité avec le public et les populations, suscitant le débat et inscrivant la danse dans leur quotidien, est fondamentale ». Il est important de s’inspirer de la société et d’aller répondre aux besoins des citoyens pour être en harmonie avec les messages et nos pratiques. « C’est pourquoi j’ai animé un atelier avec l’association Wiligri dans le cadre de leur festival « Quartier en Mouvement ». L’objectif était de travailler dans les quartiers pour sensibiliser les populations à la danse contemporaine, tout en explorant la question de l’espace public » : Zora.

Le premier jour, Zora a déconstruit la danse, explorant ce qu’elle représente pour les participants et pourquoi ils participent à l’atelier. En déconstruisant ces éléments, il a ouvert la voie à de nouveaux défis, horizons et outils qui n’avaient pas encore été explorés ou pleinement compris. Il a développé une connexion entre ce qui vit à l’intérieur de nous et son expression extérieure, s’inspirant de la citation de Sony Labou Tansi selon laquelle « c’est l’extérieur qui vient éplucher l’intérieur ». L’objectif était de montrer comment l’agitation intérieure peut créer une transformation, transcendant la question de l’espace de manière poétique.

Le workshop avec les danseurs a été également conçu pour répondre aux préoccupations des chercheurs. Zora : « Il était essentiel pour moi de réaliser une restitution concrète où les chercheurs pouvaient observer comment nous cherchons également avec nos corps, démontrant ainsi la complémentarité entre la démarche artistique et la recherche académique »

Ateliers et sensibilisation dans les quartiers

En tant que formateur, la démarche de Zora s’adapte à la singularité de chaque danseur, considérant que chaque territoire porte son propre contexte et sa culture distincte, influençant ainsi la perception des choses. « Je m’abstiens généralement d’écrire des ateliers de manière académique, privilégiant plutôt le dialogue, car c’est à travers la discussion que tout se construit. Comprendre qui ils sont, pourquoi ils sont là, et chercher à se compléter mutuellement sont les fondements de mon approche ».

Il favorise un processus de décentralisation et de rupture avec les hiérarchies traditionnelles, instaurant ainsi une relation de collégialité. Le dialogue devient essentiel, car les mots portent une charge significative. Ce sont les mots qui peuvent déclencher des conflits, mais également ceux qui peuvent susciter l’amour. Zora : « Je m’efforce d’être franc en tant que formateur, partageant honnêtement mes observations, et en retour, je souligne que ce qu’ils font les suivra. L’auto-honnêteté est cruciale, car se mentir à soi-même n’est pas une option viable ».

Une fois cette compréhension est établie, les danseurs sont prêts à se lancer dans l’inconnu, à explorer de nouveaux horizons. Ce processus émerge d’un dialogue sain, créant une complicité qui s’apparente à une fraternité.  » À la fin d’une performance, par exemple, nous nous réunissons en cercle pour exprimer notre gratitude envers les énergies et les ancêtres qui nous ont accompagnés pendant ces deux jours. Il est essentiel de maintenir la croyance en l’âme et l’esprit, en cette force intérieure capable de transformer de simples rêveurs en réalisateurs. Aujourd’hui, les grands danseurs, chorégraphes, footballeurs et artistes du monde entier ont atteint leur statut par le travail assidu et la persévérance « 

Spiritualité dans la création artistique

Certaines personnes dégagent une aura puissante. Ce n’est pas nécessairement lié à des initiations ou à des rituels, mais plutôt à leur développement intellectuel, leurs connaissances, et leur connexion avec Dieu ou la nature. « Pour moi, la spiritualité est une composante essentielle, car l’art lui-même est intrinsèquement spirituel. La spiritualité, en premier lieu, gouverne le monde, et nous ne sommes que des locataires temporaires sur terre, le bailleur étant l’invisible » : Zora.

Quand on parle de l’invisible, cela fait référence à la relation que nous entretenons avec nos ancêtres décédés. « Dans ma région, les peuples à l’ouest du Cameroun, ont lutté ardemment pour la liberté et la résistance des peuples camerounais face aux enjeux de l’indépendance en Afrique et spécifiquement au Cameroun. Chez nous, la mort n’est pas une fin définitive. Nous concevons la mort comme une extension de la vie qui continue à agir sur nous, les vivants. Ainsi, en appelant nos grands-parents, en invoquant nos grands-mères, ou en cherchant un soutien spirituel, il est accessible » Zora.

L’art, dans cette perspective, représente une manière de transcender le monde matériel pour accéder à l’immatériel et de le retranscrire avec la poésie du corps. Il explore la question de s’inspirer de l’invisible, de l’inconnu. C’est en quelque sorte une incursion dans la fiction tout en restant ancré dans la réalité.

Le travail artistique de Zora s’immerge profondément dans l’univers des images et des symboles, une exploration où je décline et transforme ces symboles de manière significative. Les accessoires que j’utilise ne sont pas simplement des éléments de décor, mais plutôt des voix, des porteurs de sens, chacun avec sa propre lecture et dramaturgie. Ces variations symboliques tirent leur essence de nos pratiques rituelles, où je puise mon inspiration pour créer mes performances.

Il s’inspire de tout ce qui entoure le rituel, décryptant tous les éléments utilisés dans les cérémonies. C’est une démarche qui échappe à la nécessité de coloniser l’esprit en se libérant des influences européennes. «  On reste enraciné chez soi, développant nos propres pratiques à la lumière de ce que les ancêtres ont accompli, explorant leur rapport à la nature et à la divinité à travers des éléments tels que les ensembles géométriques, les dessins, les figures, les tissus sacrés, les cannes, les masques, et tout ce qui est considéré comme sacré« .

Aujourd’hui, sa recherche artistique s’oriente vers la déclinaison de ces éléments dans un espace contemporain.  À travers la poésie corporelle, il aborde des sujets profonds, tels que les ravages des guerres, et les conséquences des conflits.  » Je crois que les gens comprennent bien l’essence de ces expressions. Le tissu blanc, un élément intégré dans mes performances, est lui aussi issu de rituels visant à instaurer la paix dans un pays troublé, une pratique qui résonne avec les réalités du Burkina Faso, tout en évoquant des similitudes avec le contexte camerounais « . La terre, dans ce contexte, représente l’humanité, l’essence même de l’existence.

Création artistique et le rôle de l’artiste

 En réalité, l’accès à l’art est ouvert à tous, mais il exige une préparation, de la patience et un engagement soutenu. Être artiste est un métier à part entière, nécessitant un investissement considérable. « On peut être un artiste sans nécessairement être un créateur, se contentant d’être un interprète qui reproduit des mouvements sans vivre pleinement la danse. Il est essentiel de distinguer l’artiste qui exécute des mouvements de celui qui crée sa propre manière de danser » : Zora.

Être artiste, c’est plus que simplement danser; c’est vivre la danse, transcender les mouvements. Comme le disent les chercheurs, « après Dieu, c’est l’artiste, » non pas pour se vanter, mais pour souligner la capacité de l’artiste à transgresser les normes et à créer. C’est un éloge modeste, car cela implique un travail intensif au-delà du talent et du génie. «  Le talent et le génie sont présents, mais sans un travail assidu, le succès n’est pas garanti « . La création artistique demande parfois une recherche approfondie, une exploration des outils, l’écriture de dossiers et une réflexion sur plusieurs années.

« Personnellement, je consacre trois ans à la création d’un spectacle de danse. La première année est dédiée à la réflexion sur les outils, à l’écriture du dossier et à des recherches approfondies. La deuxième année suit le même processus. Ce n’est qu’à la troisième année que je commence à concrétiser mes recherches avec le corps » : Zora.

La création d’une œuvre artistique ne se fait pas du jour au lendemain; il ne s’agit pas de bâcler le travail. Il faut s’efforcer d’explorer des horizons lointains, invitant la complexité dans la démarche créative.

Bien que la porte soit ouverte à tous, la nature agit comme un filtre, discernant les vraies intentions. « L’art ne fait pas de compromis avec la paresse; il est fidèle à ceux qui le cherchent activement. Si on le déçoit, l’art révèle sa véritable nature et montre comment il répond à notre engagement ».

Sensibilité au corps

La connexion avec le corps est empreinte de sensibilité. « Pour moi, le corps représente une forme d’argile, une incarnation de l’univers lui-même. C’est un réceptacle capable d’absorber toutes les impossibilités, les absurdités et les folies du monde. Lorsque je parle du corps, je le fais avec admiration, car il a la capacité non seulement d’exprimer des mouvements, mais aussi d’ouvrir l’esprit. Le corps est, pour moi, totémique, et j’accorde une importance particulière à son rôle dans mes créations » : Zora.

Le corps réagit différemment au contact avec le feu, la terre, le soleil, l’eau, le vent, ainsi qu’avec toutes les sensations, les odeurs, les formes et les images. Dans mes créations, le corps est traité méticuleusement, devenant un moyen de transmettre une richesse d’expériences sensorielles. L’impact du Burkina Faso sur ma révolution dans le domaine de la danse trouve également son origine dans l’influence de Thomas Sankara, qui a marqué profondément ma perspective artistique.

Évolution de la danse contemporaine en Afrique

Initialement perçue comme un simple moyen de communication avec le public, la danse contemporaine était, avant l’an 2000, déjà explorée par des avant-gardistes visionnaires. Cependant, la lenteur de compréhension de certains hommes face à ces innovations a parfois ralenti le processus. Malgré cela, une réelle transformation s’est opérée au fil du temps « Je crois profondément qu’entre 2000 et 2024 il y a eu une grosse évolution de la danse contemporaine en Afrique » Zora.

Aujourd’hui, il est remarquable de constater que la danse contemporaine ne se limite plus à des performances en intérieur. Or, c’est dans l’espace extérieur que cette forme d’expression a vu le jour. Le terme « contemporaine » implique une danse ancrée dans l’actualité, le moment présent. Certains danseurs ont rencontré des difficultés dans la transmission de cette essence, souvent en pensant qu’elle imposait un certain type de mouvement.

« Pour ma part, ayant évolué initialement dans le milieu du Hip-hop, je continue à intégrer cet héritage, ayant participé à de nombreux Battles. J’ai également exploré l’art contemporain en utilisant les principes du Hip-hop de rue. Même lors de la formation des jeunes danseurs que j’ai encadrés, l’accent est mis sur la rue comme un reflet de nous-mêmes, un écosystème corporel où leur danse exprime leur relation avec l’environnement, absorbant et reflétant les influences plastiques » : Zora.

L’évolution de la danse contemporaine requiert une audace accrue pour s’ouvrir davantage aux nouvelles possibilités. Cela ne peut se réaliser pleinement qu’avec la complicité des journalistes et de la presse. Il est essentiel de mieux comprendre ce qu’est réellement la danse contemporaine, et la population ne devrait pas craindre de s’immerger dans cette forme d’expression, car elle représente simplement une manière différente de penser la danse. Les thèmes abordés à l’université, par exemple, trouvent leur écho dans la danse contemporaine. Il serait bénéfique pour la population de découvrir comment la danse peut être un moyen de réflexion et de communication thématique. « La communion entre la population, les journalistes et la presse pourrait favoriser une évolution continue de la danse contemporaine, non seulement dans les performances artistiques, mais aussi dans les mentalités et les mœurs de la société. Une presse diversifiée, s’engageant à écrire sur les questions de la danse contemporaine, jouerait un rôle crucial dans cette démarche » : Zora.

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